03 June 2025

Ibérie : Pourquoi n’y a-t-il pas de batteries en Espagne ?

Written by:
Modo Energy

Ibérie : Pourquoi n’y a-t-il pas de batteries en Espagne ?

Le marché du stockage d’énergie par batteries en Espagne est à un point critique. Bien que le pays soit un leader du déploiement des énergies renouvelables en Europe, il ne compte que 18 MW de batteries autonomes installées, soit 300 fois moins qu’en Grande-Bretagne. Mais ce paradoxe est sur le point de disparaître. De nouveaux mécanismes de marché, l’essor du solaire et les défis de stabilité du réseau convergent pour libérer l’un des marchés de la batterie les plus prometteurs d’Europe.

Cette analyse examine pourquoi l’Espagne est en retard dans le déploiement du stockage, ce qui change aujourd’hui et comment les développeurs peuvent tirer parti de cette opportunité émergente.

Points clés à retenir

  • L’Espagne ne dispose que de 18 MW de batteries contre 5,6 GW en Grande-Bretagne
  • Cependant, 33 GW de capacité solaire installée ont fait chuter les taux de captation annuels à 56 % en 2025, soulignant la nécessité d’une demande plus flexible
  • Un nouveau marché de capacité pour 2025, suivi de marchés de contrôle de tension en 2026, crée des revenus fiables sur plusieurs années
  • Les écarts de prix journaliers ont atteint un record de 94 €/MWh en 2025, la production solaire croissante faisant chuter les prix à la mi-journée
  • L’Espagne a alloué 700 M€ via le Fonds européen de développement régional (FEDER) pour financer des batteries autonomes
  • La coupure d’avril a révélé l’urgence de renforcer la stabilité du réseau

Pourquoi l’Espagne n’a pas de batteries : obstacles historiques

1. Gestion robuste du réseau

Le gestionnaire de réseau espagnol (REE) a construit le centre de contrôle des énergies renouvelables le plus sophistiqué d’Europe (CECRE), qui offre :

  • Surveillance en temps réel de tous les générateurs >1 MW
  • Réduction proactive des renouvelables, assurant la stabilité du réseau malgré 80 % de pénétration renouvelable
  • Interconnexion limitée avec la France (3 GW), forçant l’autonomie

Cette approche centralisée donne à l’opérateur de réseau les outils pour gérer efficacement l’intermittence des renouvelables, retardant ainsi le besoin de flexibilité et de stockage.

2. Dominance de l’hydroélectricité

L’Espagne exploite 17 GW d’hydroélectricité et 3,3 GW de pompage-turbinage. Ces actifs ont historiquement fourni :

  • Inertie synchrone gratuite grâce aux turbines en rotation
  • Stockage saisonnier d’énergie dans les réservoirs. Les opérateurs optimisent selon la valeur de l’eau, en tenant compte des prix de l’électricité sur plusieurs mois.

Le stockage hydraulique par pompage espagnol concurrence directement les systèmes de batteries (BESS), limitant ainsi les opportunités pour les batteries sur le marché de gros.

3. Absence de marchés auxiliaires

Contrairement à la Grande-Bretagne ou au Texas, l’Espagne n’a jamais créé les marchés de services auxiliaires nécessaires aux systèmes zéro émission :

  • Pas de marché de réponse en fréquence : Les grands producteurs sont obligés de fournir gratuitement des réserves pour la gestion de la fréquence
  • Pas de paiements de capacité : Alors que les batteries britanniques peuvent tirer 10-15 % de leurs revenus du marché de capacité, les actifs espagnols sont soumis à un risque purement marchand
  • Pas de marché du contrôle de tension : Le contrôle de tension est une obligation, pas une source de revenus

Sans ces sources de revenus, la rentabilité des batteries était moins attractive pour les investisseurs et développeurs du pays.

4. La dynamique hydro-solaire

Les deux dernières années ont été exceptionnellement humides en Espagne ; fin mai, le volume d’eau stockée atteignait 43 412 hectomètres cubes, soit 22 % de plus que la moyenne décennale.

Cela a permis à la production hydroélectrique de plus que doubler, passant de 14,2 TWh en 2022 à 30,4 TWh en 2024, sans changement de capacité installée. Cette abondance d’hydroélectricité flexible a masqué la pression croissante du solaire sur les prix, maintenant les écarts journaliers relativement contenus autour de 73 €/MWh malgré un développement solaire massif.

Ces écarts comprimés ont réduit les opportunités d’arbitrage énergétique pour les batteries. Cependant, malgré une nouvelle année humide en 2025, les écarts de prix sont revenus aux niveaux de 2022. Cet effet résulte d’une offre solaire accrue alors que la demande annuelle reste stable.

5. Les prix négatifs extrêmes sont rares

Jusqu’en 2024, l’Espagne n’avait jamais connu de prix négatifs sur le marché de gros de l’électricité. Mais cela change, et le nombre d’heures à prix négatif augmente plus vite qu’en France et en Allemagne en 2025.

Cependant, il existe une différence majeure : même si les heures négatives augmentent, les prix restent proches de 0 €/MWh au lieu de plonger fortement en territoire négatif.

Deux facteurs structurels limitent la baisse des prix espagnols :

  1. Interconnexion limitée : Le lien de 3 GW avec la France isole l’Espagne de la contagion des prix négatifs en Europe centrale. Quand les prix allemands atteignent -150 €/MWh, l’Espagne ne peut pas importer assez d’énergie pour faire baisser ses prix.
  2. Réduction économique : La plupart des installations solaires espagnoles sont de grands projets commerciaux pilotables à distance. Lorsque les prix deviennent négatifs, les opérateurs solaires arrêtent la production. Ce comportement sensible aux prix crée un plancher proche de 0 €/MWh.

L’augmentation des prix négatifs crée une opportunité pour le stockage :

  • Réduire l’incertitude des revenus
  • Créer des schémas d’arbitrage stables et prévisibles

Mais cela pourrait évoluer avec l’arrivée de nouvelles capacités renouvelables en fonctionnement continu et l’augmentation de l’interconnexion, ce qui pourrait accentuer les creux de prix et élargir les écarts.

Les facteurs de changement : pourquoi 2025 sera différent

1. La cannibalisation solaire crée de nouvelles opportunités

L’essor du solaire en Espagne fait s’effondrer les revenus. Alors que la capacité installée est passée de moins de 10 GW en 2018 à 33 GW en 2025, le prix moyen capté par les producteurs solaires s’est effondré. Les taux de captation annuels du solaire sont passés de 83 % en 2023 à 67 % en 2024, et atteignent en moyenne 56 % en 2025.

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